« Entr’actes en mode mineur » : construire, reconstruire et maintenir du lien avec les mineurs prostitués
D’après l’interview de Vincent DUBAELE, directeur d’Entr’Actes, réalisée par l’Observatoire national de la protection de l’enfance (ONPE) dans son dossier « Protéger les enfants et les adolescents de la prostitution »1.
Le service Entr’Actes d’Itinéraires mène une action de type santé communautaire avec et pour les travailleur.se.s du sexe, en veillant à prévenir les dommages et éviter l’aggravation des conséquences liées à l’activité prostitutionnelle et à l’usage de drogues. L’équipe pluridisciplinaire est composée d’éducateurs spécialisés, d’une infirmière, d’un médecin, de différents intervenants (psychologue, ostéopathe, socio-esthéticienne…) et de bénévoles.
Une expertise de plus de 15 ans sur la question de la prostitution des mineurs
La question de la prostitution des mineurs fait partie intégrante des champs d’intervention d’Entr’Actes, qui a plus de 15 ans d’expertise sur le sujet et qui dès le début a produit des chiffres avec beaucoup de rigueur.
Cette problématique s’était posée dès l’époque dans les permanences éducatives d’Itinéraires, confrontées à de plus en plus de situations de mineurs exerçant des pratiques sexuelles tarifées. Nous constations à quel point la façon d’aborder ces jeunes et les réponses sociales existantes étaient inadaptées. Tous les jeunes (essentiellement des filles) qu’Entr’Actes a rencontré alors faisaient l’objet d’une mesure de protection de l’enfance et étaient en rupture avec les institutions, suivant toujours le même parcours : passages par les foyers de la Protection de l’enfance, fugues, rue, errance..
Beaucoup de questions se sont alors posées : comment prendre en compte l’enfant à protéger tout en créant et en maintenant un lien avec lui ? Comment former les équipes ? Quel positionnement associatif adopter ? Avec quels partenaires ?
Une approche pragmatique
La prise en charge de ces jeunes nécessite de prendre en compte plusieurs problématiques : sanitaire, judiciaire, familiale.
L’approche d’Entr’Actes est pragmatique, il s’agit à la fois de travailler avec les partenaires de la Protection de l’Enfance tout en adoptant les pratiques de la réduction des risques liés à la sexualité. C’est innover et rechercher en permanence à être pertinent.
La présence sociale sur le terrain est indispensable pour traiter ce sujet et essayer de créer, recréer et maintenir du lien entre les mineurs et les adultes référents responsables, lien trop souvent perdu ou compliqué. Entr’actes joue un rôle d’interface entre le jeune, les partenaires sociaux et les parents qui se sentent seuls et désarmés face à la prostitution de leur enfant. Nous sommes d’ailleurs de plus en plus sollicités par des familles pour les accompagner2.
La prostitution des mineurs à l’ère du numérique
Ce phénomène de prostitution des mineurs s’est amplifié avec l’avènement des nouvelles technologies, qui ont donné naissance à une nouvelle forme de prostitution : les pratiques sexuelles tarifées sur Internet et les réseaux sociaux, qu’elles soient réelles ou virtuelles (webcam).
Et ce phénomène touche tous les milieux sociaux : nous voyons apparaître aujourd’hui des situations de jeunes inconnus des institutions sociales et ne faisant l’objet d’aucune mesure de protection.
Pour traiter ce sujet très complexe, Entr’Actes a développé sa présence sur Internet et les réseaux sociaux utilisés par les jeunes (Snapchat, Instagram, Facebook…) pour entretenir du lien avec eux. Un travail de veille est mené. Le service effectue même, à la demande des parents, du référent social ou d’un juge, des recherches afin de retrouver des jeunes se prostituant dans la rue ou via ces réseaux sociaux.
Une piste de réflexion est actuellement menée pour développer toujours plus nos actions en lien avec ces nouvelles formes de prostitution.
Une prise en compte au niveau national
Le secrétaire d’Etat en charge de la protection de l’enfance, Adrien Tacquet, a commandé un rapport sur la lutte contre la prostitution des mineurs à un large groupe de travail animé par la Procureure Générale de la Cour d’Appel de Paris. Entr’Actes a contribué aux travaux de ce groupe. Ce rapport lui sera remis à l’été 2021.
La question de la prostitution des mineurs, longtemps ignorée en France, est aujourd’hui mise en lumière.
La Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme (CNCDH) a adopté le 15 avril 2021 un avis dans lequel elle formule des recommandations pour prévenir et lutter contre la prostitution et la traite à des fins d’exploitation sexuelle des mineurs : Avis sur la prévention et la lutte contre l’exploitatoin sexuelle des mineurs.
Nous nous félicitons que cette question puisse enfin être traitée et travaillée au niveau de l’Etat, et espérons que l’expertise de structures telles qu’Entr’Actes et surtout la parole des jeunes concernés soient prises en compte dans les travaux qui sont actuellement menés.