Conférence de Xavier CRETTIEZ : « Sociologie de la radicalisation en France » – Mardi 10 mai 2022
Mardi 10 mai, le collectif « Ensemble on fait quoi ? » a reçu Xavier CRETTIEZ, professeur de science politique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, directeur adjoint du laboratoire CESDIP 1 et membre de l’Observatoire des radicalités politiques, à l’IRTS Hauts-de-France. Il est venu échanger sur les différentes façons de penser les mécanismes de la radicalisation.
Une définition de la notion de radicalisation
La notion de radicalisation n’est pas simple à définir. Des réalités assez différentes y sont associées : est-ce qu’il s’agit du terrorisme, de l’extrémisme, du fondamentalisme ?
Il existe une confusion entre « radicalisation comportementale » et « radicalisation cognitive ». La première évoque un comportement radical, se traduisant par l’usage de la violence civique. La radicalisation cognitive, quant à elle, désigne le fait d’avoir des pensées et des valeurs radicales.
Le lien entre radicalisation comportementale et cognitive n’est pas automatique, une personne radicalisée intellectuellement ne passera pas forcément à l’acte.
Qu’est-ce qui pousse les individus à passer à l’acte ?
- Une radicalisation de l’Islam : une mauvaise interprétation de l’Islam pousse les individus à la violence. La radicalisation cognitive est alors un préalable à la radicalisation comportementale.
- Une Islamisation de la radicalisation : à l’inverse de la précédente, la radicalisation n’est pas le fait d’individus convaincus et idéologisés. Ces derniers vont islamiser leur radicalité et leur désir de violence.
- Une politisation de la radicalisation : la radicalisation est une contestation du mode de vie républicain.
- La notion de « sur-musulman » : mal à l’aise avec leur identité religieuse, certains jeunes musulmans surjouent leur statut en empruntant les codes de la radicalisation : « Je suis plus musulman que vous car je suis prêt à me battre et à mourir pour les musulmans ».
Comprendre les processus de radicalisation
Plusieurs facteurs entrent en jeu dans le processus de radicalisation d’un individu, à différents niveaux :
Niveau macro :
- Une marginalisation et une ségrégation politique et économique.
- Le contexte international (ex : des soutiens, des modèles de référence).
Niveau méso :
- Une validation hiérarchique de la violence (des grands Imams, des grands penseurs…)
- La famille et son histoire, les réseaux amicaux, les personnes ressources : les individus s’engagent car leurs proches s’engagent.
- Internet, qui permet une transmission de messages et d’images idéalisés. Internet est utilisé pour séduire la jeunesse et créer un sentiment de communauté et d’appartenance.
Niveau micro :
- Une valorisation de l’estime de soi : volonté de devenir quelqu’un d’autre et de devenir puissant et reconnu.
- Des rétributions : avoir accès à une « belle vie » (femmes, voitures, villas…).
Comment justifier la violence politique ?
Une réinterprétation du djihad pousse les individus à agir : selon l’État islamique, le djihad est obligatoire et militarisé. Il définit ce qu’est un « vrai » musulman.
Un individu est violent dès lors qu’il est « autorisé » à l’être. Il doit se sentir légitime, d’où l’importance du soutien moral de personnalités et de leur validation.
La recherche de Xavier CRETTIEZ et Romain SEZE
Xavier CRETTIEZ et Romain SEZE, sociologue à la Mission de lutte contre la radicalisation violente, dépendant de la Direction de l’administration pénitentiaire, ont mené une enquête auprès de 353 terroristes islamistes incarcérés en France.
Leur recherche réfute certaines idées reçues sur le profil des radicalisés :
- Ce n’est pas dans les endroits où la proportion d’immigrés est la plus élevée qu’il y a le plus de terroristes islamistes. Par exemple, dans les Pays de la Loire, en Bretagne et en Normandie, la population d’immigrés est faible. Pourtant, la part de terroristes islamistes y est importante.
- 81% des djihadistes sont français : il existe un terrorisme national.
- Il existerait un lien entre famille dysfonctionnelle et engagement djihadiste. Or, 75% des terroristes islamistes viennent de familles stables.
- Perçue comme une victime, la femme djihadiste est pourtant plus convaincue que leur compagnon du projet salafo-djihadisme. Beaucoup s’engagent dans un véritable projet de vie et emmènent maris et enfants avec elles. Le fait d’avoir des enfants et d’être en couple ne restreint pas l’engagement violent.
- Les djihadistes ne sont pas des personnes isolées (59% de non isolées): ils forment un groupe et sont poussés à l’engagement par leurs paires.
- 92% des djihadistes ne présentent aucun trouble psychiatrique.
- 57% n’ont aucun antécédent judiciaire et 70% n’étaient pas des mineurs délinquants.
- Il y a une déconnection de plus en plus en forte entre le fait d’être djihadiste et d’aller en zone de combat : 60% n’a jamais expérimenté la réalité guerrière.
Cette enquête dresse un portrait des djihadistes en France. Une autre recherche débutera en septembre 2022 sur l’évaluation de la politique de la Mission de lutte contre la radicalisation violente.
Retrouvez cette conférence sur le site Internet : ensembleonfaitquoi.fr
Sources
- Centre de recherche sur le droit et les institutions pénales[↩]