Un après-midi d’échanges sur la Réduction des risques avec le Collectif des CAARUD Lillois
Le Collectif des CAARUD1 Lillois regroupe 6 CAARUD : abej solidarité (Point de Repère), AIDES, Cedr’Agir, La Sauvegarde du Nord (Ellipse), SPIRITEK et Itinéraires Entr’Actes
Mercredi 19 octobre, le Collectif a convié les travailleurs du social et du médico-social au cinéma associatif L’Hybride pour échanger sur la Réduction des risques.
Qu’est-ce que la Réduction des risques ?
Chaque année, les 6 CAARUD accueillent et accompagnent plus de 4500 personnes. Leur objectif est de proposer des solutions adaptées aux usagers de drogues pour prévenir les dommages liés à leur consommation.
« La Réduction des risques est une stratégie de santé publique qui vise à réduire les dommages liés à l’utilisation de substances psychoactives. » – Frédéric, responsable au service thérapeutique de l’association Cedr’Agir
La Réduction des risques s’adresse aux personnes qui ne peuvent ou ne souhaitent pas arrêter. L’objectif n’est donc pas l’abstinence ou la répression, mais bien une réduction des risques. Pour cela, les CAARUD sensibilisent les consommateurs aux risques, fournissent du matériel stérile et facilitent leur accès aux droits.
Les travailleurs de la Réduction des risques sont souvent perçus, à tort, comme des « complices » par le grand public, alors qu’ils interviennent en termes de santé publique. Un travail de sensibilisation serait donc nécessaire.
« Une information objective n’est pas incitative. Une information claire, crédible, accessible sur les risques associés à l’usage de drogues n’a pas pour effet une incitation à l’usage de drogues. Cela prévaut également pour la mise à disposition de matériels visant à réduire les risques. » – Frédéric, responsable au service thérapeutique de l’association Cedr’Agir
La Réduction des risques s’appuie sur l’expérience et les témoignages des usagers pour faire évoluer les modes d’intervention. Une adaptation aux nouveaux publics et aux nouvelles pratiques est constamment nécessaire.
Diagnostic de la situation lilloise sur la question de l’évolution des consommations dans l’espace public
Pendant 2 ans, l’INSERM2 a mené une étude sur l’évolution des consommations dans l’espace public lillois. Laurie WDOWIAK a rendu compte de ces résultats :
- Profil des usagers
Les usagers de drogues sont généralement polyconsommateurs et ont en moyenne entre 30 et 40 ans. Ce public est marqué par une extrême précarité, notamment sur le logement.
La grande majorité des usagers sont des hommes, même si le nombre de femmes est de plus en plus important.
- Les risques liés à la consommation
La consommation dans l’espace public, à la vue de tous, et surtout des enfants, est quelque chose d’impensable pour certains usagers. D’autres usagers craignent les interpellations de la police et la saisie de leur matériel de consommation.
Les usagers de drogues se déplacent alors vers des interstices urbains, aussi appelés « trous de souris ». Ces endroits sont très sales et difficilement atteignables pour les professionnels de santé, ce qui multiplie les risques.
- Les actions avec la police
Une formation des agents de police permettrait une meilleure prise en charge des usagers. L’enjeu est de leur faire comprendre que la confiscation des produits et/ou du matériel conduit à une augmentation des risques, puisque les usagers iront se cacher dans des endroits reclus et sales.
- L’importance d’une salle de consommation à Lille
« De manière générale, les usagers expriment que, pour eux, la consommation dans l’espace public n’est pas souhaitable et qu’ils aimeraient accéder à des espaces de consommation propres.
Le projet d’une salle de consommation à Lille répond aux problématiques sanitaires des usagers et limite les troubles à la tranquillité vécus par les riverains.
Un professionnel de CAARUD nous a dit : ‘C’est complétement débile, nous leur donnons du matériel pour qu’ils puissent consommer dans des lieux sales, à l’arrache’. » – Laurie WDOWIAK
« La salle de consommation n’est pas qu’un lieu de consommation. C’est aussi un endroit de repos, de contacts et de soins. L’offre est bien plus large que simplement accueillir la personne pour qu’elle consomme. Aujourd’hui, en l’absence d’un tel lieu, nous leur donnons du matériel stérile et des conseils professionnels pour ensuite les renvoyer dans des espaces qui sont loin d’être propres.
Dans le projet lillois, nous avions un espace dédié à la consommation et un espace de repos pour se doucher, pour prendre du linge et pour échanger avec un professionnel sur sa situation personnelle ou financière. Malheureusement, le projet est aujourd’hui gelé, alors que nous avions déjà l’endroit et que nous étions prêts à recruter les professionnels. » – Un intervenant de La Sauvegarde du Nord
Le témoignage d’Entr’Actes
Parmi tous les CAARUD Lillois, Entr’Actes se différencie par son public composé uniquement de travailleur·se·s du sexe.
« Dans le diagnostic de l’INSERM, il a été dit que les femmes étaient invisibles et peu nombreuses dans les CAARUD. Chez nous, c’est tout l’inverse. Nous sommes principalement un CAARUD au féminin. Nous essayons de rendre leur visibilité à toutes ces femmes qui franchissent la porte de notre CAARUD. » – Leila ITOUMAINE, chargée de mission à Entr’Actes
Leila ITOUMAINE, chargée de mission à Entr’Actes, Fanny LEROY, infirmière à Entr’Actes et Nadia, travailleuse du sexe accompagnée par Entr’Actes, sont venues témoigner de l’importance du Pôle Santé proposé chez Entr’Actes.
« Notre objectif n’est pas de se substituer aux structures de prévention et de soin existantes. Cependant, nous nous sommes très vite rendu compte qu’orienter les personnes vers ces structures était très compliqué. Elles n’allaient pas aux rendez-vous pour diverses raisons, notamment la double stigmatisation dont sont victimes les travailleuses du sexe : de par leur activité et de par leur statut d’usagères de drogues. La stigmatisation est telle qu’il y a un véritable non-recours aux soins.
La priorité des travailleuses du sexe usagères de drogue est de gagner le plus d’argent, le plus rapidement possible. D’abord pour payer le logement et surtout pour payer le produit. La santé n’est donc pas du tout une priorité, et la gynécologie encore moins.
Face à ce constat alarmant, nous avons décidé de dédier un temps, une fois par mois, à la gynécologie avec l’aide du Dr DONNET (médecin à la Maison Dispersée de Moulins). Nous espérons, avec le soutien de la CPAM, passer à 2 jours de consultations par mois. » – Leila ITOUMAINE, chargée de mission à Entr’Actes
« La consommation de drogues fait que les travailleuses du sexe ne pensent pas, ou ne pensent plus, à leur suivi médical.« – Fanny LEROY, infirmière à Entr’Actes
Nadia, travailleuse du sexe et usagère d’Entr’Actes témoigne :
« J’ai d’abord rencontré Fanny, qui m’a sensibilisée et m’a conseillée de prendre un rendez-vous gynécologique. Aller voir un médecin c’est assez compliqué, car il faut à chaque fois tout recommencer et réexpliquer alors que nous ne savons pas comment il va nous recevoir. Souvent, il y a un jugement assez destructeur.
Le fait que Fanny vienne à moi, cela m’a vraiment facilité la tâche. C’est important d’avoir une infirmière qui vient nous voir, ce n’est pas nous qui nous déplaçons. L’équipe d’Entr’Actes tourne dans les rues, elle vient nous voir et nous sensibilise.
Ça m’a pris du temps avant de rencontrer le Dr GUICHARD (médecin référent d’Entr’Actes),au moins 6 mois. Le premier rendez-vous : je n’y suis pas allée. Deuxième rendez-vous : je suis allée jusqu’à pas loin de l’association, puis j’ai fait demi-tour. Pourtant, j’avais un problème assez important, mais je n’arrivais pas à aller voir un professionnel. Fanny a pris le temps de vraiment me mettre en confiance et j’ai fini par aller au rendez-vous, qui s’est très bien passé. L’accompagnement par Entr’Actes a été vachement bénéfique pour moi. »
Visionnage du documentaire « Ici je vais pas mourir », réalisé par Cécile DUMAS et Edie LACONIE
Afin de clôturer cet après-midi d’échanges sur la Réduction des risques, le Collectif des CAARUD Lillois a invité Cécile DUMAS, réalisatrice du documentaire « Ici je vais pas mourir »3
Un documentaire poignant qui laisse la parole aux usagers de la salle de consommation située dans le 10ème arrondissement de Paris.
« En tant qu’habitante témoin de la consommation des usagers, et membre d’une association de parents d’élèves, j’avais envie d’en savoir plus sur l’installation d’une salle de consommation dans le 10ème arrondissement de Paris. Je savais que les salles de consommation existaient, puisque j’ai des amis qui habitent non loin de l’une d’entre elles, mais je n’en savais pas plus.
Je voyais que la police faisait de temps en temps des descentes dans le quartier. J’habite dans le 10ème depuis les années 90 et j’ai toujours observé ce petit jeu du chat et de la souris.
Avec un groupe de parents d’élèves, nous avons rencontré l’association Gaïa, qui nous a présenté la salle de consommation. Je me suis alors dit qu’il fallait faire un film sur l’ouverture de cette salle, qui était une innovation sociale pour la France.
Le projet d’un film démarre en 2016. Edie LACONI (coréalisateur) et moi contactons l’association Gaia au printemps 2016. Nous rencontrons ensuite les deux coordinateurs de la salle et le reste de l’équipe. En mai-juin 2016, nous commençons un travail d’immersion pour connaître leur travail et le terrain. Tout cela sans caméra, nous venons, nous nous posons et nous discutons avec les gens. Nous commençons à filmer seulement en mars 2017 et terminons à l’automne 2018. » – Cécile DUMAS
Ce film nous plonge au cœur du quotidien des usagers de drogue qui fréquentent cette salle de consommation, avec des témoignages sans filtre sur leur réalité.
Retrouvez le trailer de ce film ici.
Sources- Centre d’Accueil, d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues[↩]
- L’Institut national de la Santé et de la Recherche Médicale est un organisme de recherche scientifique public dédié à la santé humaine.[↩]
- Synopsis du documentaire : « Une salle de consommation de drogue à moindre risque a ouvert à Paris. Beaucoup ne font qu’y passer, certains s’y arrêtent. Parmi eux il y a Marco, Cilo, Julie, Hervé… qui la fréquentent quotidiennement. Halte hors de la violence de la vie dans la rue, ils viennent ici pour s’injecter loin des regards mais aussi se reposer, soigner leur corps, retrouver un peu de dignité et d’humanité.»[↩]