Projection du film « Entr’Actes en mode mineur » et débat sur la prostitution des mineurs. Retour sur la rencontre du 3 février
Jeudi 3 février, Itinéraires Entr’Actes a organisé à l’IRST Haut-de-France la projection de son film « Entr’Actes en mode mineur », réalisé grâce aux témoignages de jeunes en situation prostitutionnelle. S’en est suivi une table ronde sur le sujet de la prostitution des mineur.e.s, animée par la journaliste Aurelia GUILLEMIN, avec :
- Vincent DUBAELE, directeur d’Entr’Actes,
- Jean-Yves JALAIN, directeur du Pôle Protection de l’Enfance à l’association SOLFA,
- Matthieu LAUNAY, responsable du Pôle Enfance Famille Jeunesse du Département du Nord,
- Mathilde MOREL, coordinatrice de « La Boussole » à l’AGSS de l’UDAF de Dunkerque.
Près de 300 personnes ont assisté à cette rencontre. Après le visionnage du film, les échanges entre le public et les intervenants ont étaient très riches.
« Entr’Actes en mode mineur », un film ouvert et honnête sur la prostitution des mineurs
Vincent Dubaele souligne que la réalisation de ce film n’a pas été simple, tant le contact avec les jeunes en situation prostitutionnelle est compliqué à instaurer et à maintenir. Ils sont souvent en fugue et difficiles à localiser, et il est aussi difficile de convaincre les jeunes de témoigner sur ce sujet.
Il était malgré tout impératif pour Itinéraires Entr’Actes, qui observe ce phénomène de prostitution des mineurs depuis une quinzaine d’années, de mieux le faire connaître. Car le sujet est encore trop tabou et source de sidération, même dans la sphère professionnelle.
Le fruit de plusieurs années d’expérience de terrain et de réflexion
Dès 2005, Vincent DUBAELE et son équipe d’Entr’Actes font un constat avec le Département : les mesures classiques de protection de l’enfance ne fonctionnent pas sur les mineurs et les jeunes adultes en situation prostitutionnelle.
En 2010, après plusieurs années de réflexions et d’expérimentations, le service « Entr’Actes en mode mineur » est créé pour accompagner spécifiquement et autrement ce public.
En 2019, le film « Entr’Actes en mode mineur » est réalisé et sert de base à une réflexion profonde engagée avec le Département et d’autres dispositifs de protection de l’enfance. Il livre la parole brute des jeunes, souvent difficile à entendre pour les adultes, mais pourtant nécessaire à écouter.
Des clés pour les professionnels
Les intervenants de la table ronde ont cherché à donner aux professionnels les clés d’un accompagnement réussi : comment instaurer un lien de confiance avec les jeunes, sans les braquer ? Comment parler de sexualité, thématique très difficile car touchant à l’intime ? Comment les accompagner au mieux ?
Le « pas de côté »
Tous s’appuient sur un principe clé : le « pas de côté », c’est-à-dire s’adapter, fonctionner autrement, être inventif, parfois sortir des règles et prendre des risques tout en étant dans une logique de responsabilité.
En première ligne sur le terrain, Entr’Actes, SOLFA et La Boussole observent la réalité vécue par les jeunes et la prennent en compte pour pouvoir répondre à leurs besoins, sans jugement ni discours moralisateur.
« Ce principe du pas de côté peut d’ailleurs être appliqué à d’autres formes de prise en charge des jeunes, pas uniquement sous l’angle de la prostitution. » – Jean-Yves JALAIN
« Le pas de côté c’est aussi le fait de les voir sous un autre prisme que celui de mineur.e.s prostitué.e.s, ne pas les réduire qu’à cela. Ce sont avant tout des jeunes ». – Mathilde MOREL
« Créer du lien c’est déjà une absence de contrepartie, une absence d’impératif de stabilité. […] La création du lien est le premier objectif que l’on propose à ces jeunes filles. L’idée est de constituer un repère pour qu’elles soient à l’aise. » – Mathilde MOREL
Parler de sexualité avec les jeunes
Matthieu LAUNAY a présenté quelques pistes pour apprendre à parler de ce sujet avec les jeunes :
- Contextualiser et déconstruire ce qu’ils voient à longueur de temps à la télévision ou sur les réseaux sociaux, notamment dans les émissions de téléréalité. Celles-ci participent à la croyance selon laquelle le sexe est un moyen efficace, voire incontournable, d’être connu et de gagner de l’argent. De plus, elles banalisent les relations amoureuses conflictuelles. Sans adulte présent pour en discuter avec eux, les jeunes se créent de faux repères.
- Intervenir dans les écoles dès le plus jeune âge.
Le partenariat
Jean-Yves JALAIN insiste sur la nécessité de travailler en réseau : « Il est important de se dire qu’on n’est pas tout seul. Se concerter entre partenaires nous permet d’aller plus loin, de faire des pauses même parfois quand c’est trop dur : les partenaires peuvent se relayer.»
Vincent DUBAELE le rejoint : « J’aime définir le service d’Entr’Actes comme un service de première ligne. Mon objectif n’est pas de travailler seul sur la question de la prostitution des mineurs, mon objectif est de travailler en partenariat, c’est-à-dire avec chacun des acteurs à la protection de l’enfance. »
« Il est important de valoriser l’action de l’ensemble des professionnels autour de l’accompagnement qui est mené, que ce soit les éducateurs de MECS*, les éducateurs de prévention spécialisée, l’Aide sociale à l’enfance, les assistantes sociales… Ils sèment des petites graines qui, à un moment donné, vont germer. » – Matthieu LAUNAY
Former les professionnels sur ces questions
C’est primordial, car un manque de formation peut engendrer des maladresses et un risque de briser ce lien précieux que les professionnels tentent d’établir avec les jeunes.
Vincent DUBAELE a ainsi annoncé la mise en place de futures formations :
« Dès cette année, nous allons mettre en place ce que nous appelons « une communauté de projets » entre les associations présentes et intervenant dans les métropoles lilloise et dunkerquoise.
L’idée est de réinvestir la prévention au sens premier du terme et de développer d’autres formes d’actions dans les collèges, dans les lycées et pourquoi pas au niveau du primaire.
Deuxièmement, l’idée de soutenir les parents et les proches qui sont confrontés à cette problématique, ceux qui échappent encore à la protection de l’enfance.
Enfin, l’idée qui est importante et qui va concerner les professionnels que vous êtes, c’est de former et d’outiller les professionnels de l’enfance, au sens très large du terme, à mieux détecter les situations prostitutionnelles et accompagner les adolescents. Sur ce dernier point, nous aurons l’occasion de revenir vers vous très prochainement puisque nous sommes en train de construire, à quatre, un programme de formation sur la question de la prostitution, avec des outils et le documentaire ainsi que des interventions de juristes et de spécialistes. »
Un accompagnement 2.0
Depuis l’enregistrement de ce film il y a deux ans, le phénomène de prostitution numérique s’est fortement développé, accéléré encore par la pandémie. Pour l’instant, il reste difficilement quantifiable mais chacune des associations présentes s’intéresse à la question et réalise des maraudes numériques sur les sites Internet et les réseaux sociaux.
Des paroles et moments forts du débat
Ces jeunes ont la plupart du temps des parcours extrêmement difficiles, mais il ne faut pas croire que lorsqu’on arrive d’en bas, on ne peut pas aller en haut. – Une personne du public
Je pense qu’il faut que nous, professionnels, apprenions à accepter ce qui apparaît inacceptable aux yeux de la société. C’est inacceptable qu’une gamine de 12 ans se prostitue, mais il faut quand même l’accepter. – Une personne du public
Dès l’accueil, qui est inconditionnel, on nomme le pourquoi elles sont accueillies, on nomme la prostitution. On a été confronté plein de fois à des demandes de référents qui sont coincés derrière le mot ‘prostitution’ et la représentation qu’ils ont de la prostitution. Ils viennent nous présenter une jeune fille en disant : « Elle est en errance » ; « Ça ne va pas fort » ; « Ça fait longtemps qu’on ne l’a pas vue » ; « Elle est tout le temps en fugue ». Mais à aucun moment ils n’abordent la question de la prostitution. Pour moi, il est essentiel qu’elles sachent la raison pour laquelle elles sont accueillies. – Jean-Yves JALAIN
Il y a une sacrée différence entre accompagner et cautionner. […] Quand on ferme les yeux devant une situation de fugue, c’est là qu’on cautionne le fait que la jeune fille aille se livrer à des actes prostitutionnels sans contrôle, sans même pouvoir avoir un lien avec elle. – Jean-Yves JALAIN
L’objectif est de faire connaître le phénomène de prostitution pour améliorer le repérage et surtout amener la question de la prostitution dans la grille d’évaluation des professionnels. – Mathilde MOREL
On n’est pas plus protecteur en allant déposer de manière imposée une jeune dans une structure où elle doit être, au risque de briser le lien et de ne plus la voir. On est plus protecteur en étant en lien avec elle, en allant hors les murs et dans quelque chose de complètement différent. – Mathilde MOREL
Nous devons nous décentrer. Ces jeunes filles sont réduites à leur situation de prostituée. Tout le monde les a rejetés parce qu’elles sont prostituées. Si nous aussi nous les regardons comme un « symptôme », alors rien ne peut marcher. Donnez-nous un coup de main et sortez du cadre. Si on ne sort pas du cadre on n’y arrivera pas. – Slimane KADRI, Directeur Général d’Itinéraires
*Une Maison d’Enfants à Caractère Social (MECS) est un établissement social, spécialisé dans l’accueil temporaire de mineurs.