Conférence avec Aude FAVRE et Albert MOUKHEIBER – « Fake News : comprendre, sensibiliser et protéger » – 30 novembre 2022
Mercredi 30 novembre, le collectif Ensemble On Fait Quoi ? a eu le plaisir de recevoir Aude FAVRE et Albert MOUKHEIBER aux IRTS d’Arras et de Loos pour une conférence sur les Fake News. L’organisation d’une conférence par le collectif sur le territoire du Pas-de-Calais était une première et face à la demande du public, l’expérience sera renouvelée.
Journaliste et documentariste, Aude FAVRE a lancé en 2017 sa chaîne YouTube WTFake, consacrée au décryptage des fausses nouvelles qui circulent sur Internet. Elle est aussi Présidente et co-fondatrice de Fake Off, une association de journalistes professionnels dont l’objectif est de lutter contre la désinformation chez les jeunes.
Albert MOUKHEIBER est docteur en neurosciences cognitives et psychologue clinicien. En 2014, il a co-fondé l’association Chiasma, qui étudie les mécanismes du cerveau qui sous-tendent nos raisonnements et notre vision du monde. En 2019, il publie Votre cerveau vous joue des tours (Allarys Eds), ouvrage qui décrypte la façon dont nos souvenirs peuvent être altérés et la propension que nous avons à adhérer aux Fake News.
Tous deux nous aidés à mieux comprendre les mécaniques qui poussent à croire aux Fake News et ont fourni de nombreux outils pour développer notre raisonnement critique et détecter ces fausses informations.
Qu’est-ce qu’une Fake News ?
Le terme de Fake News peut être difficile à définir tant celles-ci prennent de formes. Il y a des choses évidentes, comme dire de quelque chose qui est jaune, que c’est noir. Mais, souvent, les Fake News sont plus complexes que cela.
Aude FAVRE définit les Fake News comme « un contenu qui se veut informatif et qui est maquillé pour donner la sensation qu’il s’agit d’une information travaillée et vraie ».
Une Fake News peut donc être difficilement identifiable. Il est donc plus simple de définir ce qu’est un contenu sérieux.
Aude FAVRE insiste sur le fait que :
« La charge de la preuve incombe à la personne qui informe. »
C’est-à-dire que si une personne donne une information, c’est à elle de prouver qu’elle est vraie. A ce sujet, elle recommande de visionner la vidéo « Qui dit prouve » sur sa chaîne YouTube.
Aude FAVRE donne deux exemples de critères permettant d’identifier si un contenu est sérieux :
- Avoir du contradictoire : essayer d’avoir les différentes versions d’un événement.
- Avoir de la contextualisation.
« Souvent, on définit les Fake News comme un contenu qui a vocation à manipuler. Pour avoir discuté avec beaucoup de personnes qui produisent et diffusent des Fake News, j’ai vraiment eu la sensation que la plupart étaient authentiquement convaincues que ce qu’elles racontaient était vrai. Je suis tombée sur très peu de personnes qui savent que c’est faux, mais qui diffusent quand même la désinformation. Souvent, ce sont des personnes qui pensent être des ‘chevaliers blancs de la vérité vraie’. Ce qui fait l’attrait des Fake News et du conspirationnisme est le fait que les gens retrouvent une communauté et une estime d’eux-mêmes en se disant qu’ils sont en train de combattre le mal. »
Pourquoi ne pensons-nous pas tous la même chose ?
Nous avons tous des opinions et des croyances différentes, ce qui, selon Albert MOUKHEIBER, peut s’expliquer par les raisons suivantes :
- L’expérience de vie : nous n’avons pas le même vécu.
- Le fonctionnement du cerveau
- Nous avons une perception partiale et partielle de l’information : il est impossible de percevoir toutes les informations sur un même sujet. Nous faisons des choix quant aux informations auxquelles nous nous exposons.
- Notre attention est limitée : il est impossible de tout retenir.
- Nous vivons dans un monde complexe.
Ces trois facteurs font que nous sommes tout le temps face à de l’information incomplète et nous baignons dans une incertitude. Pourtant, nous arrivons très bien à vivre avec cette incertitude car il existe un mécanisme dans notre cerveau qui vient compléter ces vides.
Pourquoi croyons-nous aux Fake News ?
Les Fake News n’ont rien à voir avec l’intelligence. Il y a plusieurs raisons qui font que nous croyons aux Fake News :
- Le raisonnement motivé. Nous pouvons réfléchir de deux manières : soit comme un détective, qui suit les preuves et qui arrive à une conclusion. Soit comme un avocat, qui a d’abord sa conclusion en tête et organise les faits pour atteindre cette conclusion. Le raisonnement motivé c’est réfléchir comme un avocat.
- L’illusion de la connaissance. Nous avons tendance à surestimer notre compréhension d’un sujet complexe.
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« Le plus grand danger n’est pas l’ignorance mais l’illusion de la connaissance. »
- Le coût d’entrée par rapport à nos opinions. Lorsqu’un sujet nous importe beaucoup, il est parfois très difficile de remettre en question nos opinions.
- La flemmardise. Nous avons parfois la flemme d’aller vérifier les informations que nous voyons. Nous partageons des articles, simplement en lisant le titre ou en voyant une photo, sans les lire ni vérifier la source. Il existe ainsi des sites Internet qui inventent des Fake News sur des sujets non polarisants, simplement pour avoir des clics et gagner de l’argent.
- L’effet du messager. Certaines personnes disent des choses et les gens y croient car le messager a été identifié comme digne de confiance.
- Les Fake News s’appuient sur une part de vérité. Il est très rare d’être face à des Fake News qui sont 100% fausses.
Le raisonnement critique
Pour avoir un bon raisonnement critique, il faut avoir 4 compétences :
- Les compétences de réflexivité (ou métacognitives) : pouvoir réfléchir à ses propres pensées, développer un bon contrôle métacognitif, c’est-à-dire savoir évaluer une idée lorsqu’elle nous vient en tête. Il est possible d’avoir des compétences métacognitives à partir de l’âge de 5 ans, c’est quelque chose qui s’apprend.
- Comprendre les pièges qui peuvent toucher à notre cognition : apprendre les biais cognitifs, les erreurs de rhétorique, apprendre ce qu’est un bon argument et comment il se construit. Cette compétence est aussi quelque que chose que l’on peut apprendre puisqu’il existe des cours de rhétorique.
- Les attitudes : avoir une bonne humilité épistémique, c’est-à-dire être humble, être prêt à changer d’avis, être curieux et ouvert d’esprit. Mais il est difficile d’enseigner cette compétence : comment apprendre à quelqu’un à être humble ?
- Être expert dans le sujet que l’on évalue : cette compétence est très difficile à atteindre car devenir expert prend énormément de temps.
Les conseils d’Albert Moukheiber pour développer son raisonnement critique
- Ne pas faire confiance à une seule personne, malgré son degré d’expertise, car les individus ne sont pas infaillibles. Il faut prendre en compte le facteur groupe.
- Ne pas faire confiance aux « toutologues » : c’est-à-dire les personnes qui ont des opinions sur tout, car personne ne peut être expert dans tous les domaines.
- Se laisser une marge de manœuvre et admettre qu’il est possible de se tromper. C’est ce qu’on appelle la flexibilité mentale. Il faut donc être prêt à changer d’avis et pondérer ses opinions.
- Déléguer des opinions à d’autres personnes, car nous n’avons pas le temps d’avoir des opinions éclairées sur tous les sujets.
- Savoir exprimer l’incertitude: rien de pire que les incohérences systémiques et les injonctions paradoxales. Par exemple, au début de la crise COVID, alors qu’on ignorait tout de ce virus, le gouvernement a dans un premier temps affirmé que les masques ne servaient à rien puis les a rendus obligatoires : la confiance des Français a ainsi été sérieusement entamée. Le gouvernement aurait pu dire dès le départ : « c’est un nouveau virus, nous n’avons pas assez de données, nous pensons que les masques ne servent à rien, mais nous vous tiendrons informés lorsque de nouvelles données émergeront ». L’expression de l’incertitude est beaucoup mieux acceptée que le rétropédalage.
- Ne pas confondre conformité normative (agir comme des « moutons ») et conformité informationnelle (avoir l’humilité de reconnaitre qu’on ne maitrise pas certains sujets et s’en remettre à des experts).
La méthode STAR
Cette méthode, présentée par Aude FAVRE et créée par les membres de l’association FAKE OFF, permet d’évaluer et de juger si un contenu est vrai ou faux.
- S comme Sources : lorsque nous sommes face à une information, la première chose à vérifier est d’où elle vient. Lorsqu’il n’y a pas de source, cela ne veut pas dire que tout est faux, mais cela prouve que la personne ne porte pas d’importance à démontrer que ce qu’elle dit est fiable.
- T comme Travail : est-ce qu’il s’agit d’un copier-coller ou d’un travail original ? Est-ce que la personne a mené une enquête ? Est-ce qu’elle confronte différentes versions de l’événement ?
- A comme Auteur : qui est la personne qui m’informe ?
- R comme Rigueur : les contenus peu fiables présentent très peu de précision comme la date, l’heure ou les noms des auteurs. Or, le journalisme est le contraire du flou.
Pour plus d’informations sur la méthode STAR, consultez la chaine YouTube Aude WTFake : LES FÉES EXISTENT-ELLES?! 🧚 🕵️ LE WTFAKE DES CM2! 👏 – YouTube
Des outils et des méthodes pour vérifier ses sources et détecter les Fake News
- Newsguard : Une extension Google qui note les sites Internet selon leur degré de fiabilité en fonction de neuf critères d’évaluation.
- Formation OSINT (Open Source Intelligence) avec l’AFP : Une formation pour apprendre à enquêter avec les données sur le web.
- Vikidia : Propose des ateliers pédagogiques pour les enseignants de primaire, collège et lycée.
- Google Image : Outil de recherches inversées.
- La Ressourcerie : Met à disposition des supports pédagogiques sur le fonctionnement d’Internet, les médias, l’identité numérique, les stéréotypes, les algorithmes…
- Bibliothèques sans frontières : une ONG qui facilite l’accès à l’éducation, à la culture et à l’information.
- Le Cortecs : Un regroupement de professionnel·les de l’enseignement, de la santé, de la recherche ou de l’éducation populaire dont l’objectif est la transmission des divers aspects de l’esprit critique, la pensée critique ou sceptique.
- CheckNews : Un service de « journalisme à la demande » qui permet aux lecteurs de poser une question et l’équipe éditorial du journal Libération veille à y répondre.
- Opinions sur rue : Association qui partage des méthodes efficaces pour mieux discuter de ses opinions. Ils apprennent à pratiquer l’entretien épistémique, utile dialoguer avec des personnes qui ont des croyances très fortes tout en les respectant en essayant de comprendre l’origine de ces croyances.
- La chaine YouTube Mr Sam : Décryptage des Fake News et outils pour mieux prendre l’information.
- La chaine YouTube Aude WTFake : Décryptage des Fake News.
- La BD « Fake News : l’info qui ne tourne pas rond » de Duan BUI
- Fake OFF : une association de journalistes qui luttent contre la désinformation, notamment en proposant des ateliers avec des jeunes et des adultes pour leur apprendre à repérer les Fake News et les informations sérieuses.
Aude FAVRE conseille également aux enseignants et travailleurs sociaux de rencontrer et d’écouter, avec des jeunes, des victimes de désinformation et des journalistes pour en discuter avec eux.
Aude FAVRE interviendra lors d’un atelier avec parents et adolescents pour les sensibiliser aux Fake News le 20 décembre 2022 au Centre social Le Tilleul à Wattignies.
Pour voir la vidéo de la conférence : Ensemble on fait quoi ?
Retrouvez l’ensemble des conférences du collectif Ensemble On Fait quoi ? sur le site Internet : ensembleonfaitquoi.fr