Conférence « La radicalisation de droite » – Nicolas LEBOURG – 12 décembre 2022
Le 12 décembre 2022, le collectif « Ensemble On Fait Quoi ? » a eu l’honneur de recevoir Nicolas LEBOURG, chercheur et membre du comité de pilotage du programme de recherche « Violences et radicalisations militantes en France », spécialisé dans l’histoire de l’extrême droite.
Depuis la fondation du collectif « Ensemble On Fait Quoi ? » en 2015, à la suite de la vague d’attentats qui ont touché la France, la question de la radicalisation islamiste a fait l’objet de nombreuses conférences. Cette forme de radicalisation n’est toutefois pas la seule qui représente une menace pour le système démocratique. C’est pourquoi le collectif traite de toutes les formes de radicalisation : religieuses, sociales et politiques. Les radicalisations politiques sont en effet un sujet auquel les travailleurs sociaux peuvent être confrontés dans leurs pratiques. Parmi elles, la radicalisation d’extrême droite, en progression en France et dans de nombreux pays.
Nicolas LEBOURG, en recontextualisant l’apparition de l’extrême droite en France, montre comment elle a évolué et quelles influences elle a aujourd’hui, notamment auprès des jeunes.
Rappel historique : la terminologie de l’extrême droite
Le terme extrême droite apparait en France en 1820, dans le contexte de la Restauration. Ce terme désigne alors les personnes qui sont en colère, car elles trouvent que la Restauration ne va pas assez loin pour combattre la Révolution. Elles considèrent que la société doit être régénérée et former un tout, comme un corps humain et refuse donc tout « corps » étranger. Cela doit s’articuler à une révision des relations internationales et à un remplacement des élites qui, selon ces personnes, ont failli.
Le national-populisme apparait quant à lui en 1870, après la défaite française face à l’Allemagne, et donne naissance dans les années 1880 au mouvement surnommé le « Nationalisme de la revanche », cristallisé en la personne du Général Boulanger. Son objectif : sauver la nation en dirigeant le pays dans un dialogue direct avec le peuple, sans passer par les élites jugées corrompues, mais grâce à la figure d’un « sauveur » issu du peuple. C’est ce qu’on appelle au 19ème siècle la « République référendaire », qui est le projet classique du national-populisme.
La fin de la Première Guerre Mondiale en 1918 marque la naissance de l’extrême droite radicale, dont le projet n’est pas de juste rénover les institutions mais de libérer l’Homme, par une révolution anthropologique qui effacerait tout ce qui vient du libéralisme du 19ème siècle. Cette extrême droite radicale souhaite l’apparition d’un « Homme nouveau ». On retrouve dans cette mouvance les fascistes1 en Italie, les nationaux-socialistes en Allemagne et bien d’autres courants ailleurs dans le monde (exemples : la Garde de Fer en Roumanie, les Solidaristes en Russie).
Enfin, le terme le plus récent est celui de l’ultra droite, né de la réforme des services de police de 1994. La DCRG2 se donne pour mission de surveiller les individus violents et potentiellement violents et les services de police font alors la distinction entre l’extrême droite politique et l’extrême droite violente et potentiellement violente, appelée désormais ultra droite. Ce terme ne relève pas d’une question idéologique et cognitive mais d’une question de radicalisation comportementale.
Le chiffres des violences politiques en France
Nicolas LEBOURG, avec Xavier CRETTIEZ et d’autres chercheurs, a réalisé une base de données des violences politiques en France de 1986 à 2016. Ensemble, ils ont recensé près de 10 000 faits de violence, dont l’origine idéologique relève aussi bien des djihadistes, des néofascistes, de l’ultra gauche, des juifs sionistes…
Concernant l’extrême droite, 1305 faits ont été recensés et regroupés par catégories et tendances politiques. Ce qui en ressort est que les altérophobes (terme qui regroupe le racisme, l’islamophobie, l’antisémitisme) et les skins et néonazis représentent les deux tendances qui ont causé le plus grand nombre de problèmes d’ordre public. Sur les 10 000 faits, les seules fois où il y a eu des actes de barbarie, cela relevait de crimes racistes.
L’analyse de cette base de données nous enseigne une autre chose : l’idée de croire que l’ultra droite ne serait que de la radicalité idéologique n’est pas tout à fait juste, les chiffres montrent que les électoralistes (les modérés qui reconnaissent le système institutionnel) sont eux aussi impliqués dans des faits d’affrontement.
C’est la loi qui définit ce qu’est la radicalité
En France, il existe une loi qui définit la radicalité depuis 1936 et qui permet au Gouvernement de dissoudre des mouvements politiques jugés radicaux (article 212.1 du code de sécurité intérieure). C’est donc à la loi de fixer ce qui est hors de la norme et radical, dans le cadre de la Démocratie.
Cette loi distingue plusieurs items de la radicalisation :
- La radicalisation comportementale: les manifestations armées, les pratiques paramilitaires et le terrorisme.
- La radicalisation idéologique: l’incitation à la haine, l’exaltation de la collaboration, l’atteinte à l’intégrité du territoire et l’atteinte à la forme républicaine de gouvernement.
Dans son application, cette loi a été beaucoup utilisée contre les ligues et les associations d’extrême droite : 53% des dissolutions sous la Vème République concernent l’extrême droite.
L’emploi du terme de radicalité s’est multiplié dans toute l’Europe après les attentats de Madrid en 2004.
Les territoires de la violence d’extrême droite en France
Selon le Service central de renseignements territorial, il y a aujourd’hui 3300 militants de l’ultra droite, 1300 violents et potentiellement violents, et 2000 qui relaient ces idées sur les Réseaux sociaux (cette estimation est sans doute un peu faible).
Il existe des territoires où l’extrême droite est bien installée : le couloir rhodanien, la région parisienne, Nantes, l’axe le Havre-Perpignan et l’axe Nice-Marseille-Montpellier-Toulouse.
Dans les Hauts de France, c’est plus dispersé, il n’existe pas de grand groupe organisé comme sur d’autres territoires.
Les victimes de violence d’extrême droite
Depuis le début des années 1980, il y a un changement des victimes de l’extrême droite : les violences anti-maghrébines surpassent les violences anti-communistes et antisémites, avec une critique de la société multiculturelle et multiethnique (l’émergence du mouvement skinheads en France date de cette époque).
Les violences anti-maghrébines ne datent donc pas des attentats de 2015.
On remarque aussi que l’islamophobie est mieux assumée que l’antisémitisme dans les discours d’extrême droite.
L’extrême-droite et l’esthétisme
Au contraire de la gauche, qui est plus une affaire de doctrines et de programmes, l’extrême droite est une vision du monde d’abord portée par l’esthétique.
Nicolas LEBOURG présente quelques exemples de symboles utilisés par l’extrême droite (Fleur de Lys, croix celtique, soleil noir, foulard du jeu vidéo Call Of Duty…), réinvestis par les militants depuis les années 2000 et explique à quel point les allers-retours avec la pop-culture sont importants (bandes dessinées, comics, jeux vidéo).
Les accélérationnistes utilisent des références pop-culturelles pour convaincre et rallier les jeunes à l’extrême-droite.
Ils vont utiliser des BD, des mèmes3…, qui ne nécessitent pas de longs textes que les jeunes ne liront pas. Ils font preuve d’une certaine inventivité, très efficace, dans les détournements de la pop culture.
Les tendances actuelles de l’extrême droite française
Des références à l’OAS
On observe actuellement un retour de la question de la Guerre d’Algérie, avec une reprise du référentiel de l’OAS 4 et l’idée, très répandue aujourd’hui, que les attentats de 2015 seraient la continuité de la guerre d’Algérie (idée reprise notamment par Éric Zemmour) et que Daech serait l’ »enfant » du FLN 5.
L’accélérationnisme
C’est le courant qui a le vent en poupe aujourd’hui partout dans le monde. Un rapport du Comité contre le terrorisme de l’Organisation des Nations Unies en 2021 montre que dans les 5 dernières années, les violences d’extrême droite dans le monde ont progressé de 320% et 15 États ont placé la mouvance accélérationniste parmi leurs menaces principales, c’est le cas des services français.
Né aux États-Unis en 2015, d’abord sur un site Internet fréquenté par les radicaux du monde entier, ce mouvement souhaite rapidement passer à l’action, c’est-à-dire au massacre. La particularité de l’accélérationnisme est de considérer qu’il n’y a pas de différence entre la violence et l’idéologie.
Les accélérationnistes considèrent que nous sommes à la fin du monde et que la guerre raciale, prophétisée et attendue pendant longtemps par les extrémistes de droite, a commencé depuis 2015. Ils considèrent que la seule chance pour l’Homme blanc de s’en sortir est le chao. Ils veulent augmenter le niveau de violence et de désordre, prônant même le vote pour les partis pro-immigration afin d’accélérer le phénomène. Leur souhait : la multiplication des cycles de violence, qui provoqueront ainsi des cycles de représailles, pour que la partie indécise de la société blanche bascule de leur côté.
Ces dernières années, l’essentiel des attentats commis au nom de la radicalité de droite sont le fait d’accélérationnistes.
« La violence c’est le programme de l’accélérationnisme »
Depuis la guerre russo-ukrainienne, les services de renseignements américains ont fait un rapport montrant que des extrémistes de droite de 50 nationalités ont rejoint le combat et reviendront plus aguerris et armés.
La communication de l’accélérationnisme
Un autre élément important de l’accélérationnisme est le « culte des Saints », c’est-à-dire de tous les tueurs de masse à motivation raciale de l’extrême droite.
Les accélérationnistes s’expriment avec un style graphique qui rappelle les comics américains et reprennent énormément d’éléments de la pop-culture dans leur communication.
Le problème avec ce mouvement c’est le déterminisme de ses militants, et qu’il soit le fait d’individus et non de groupes. Ce mouvement concerne essentiellement des jeunes : depuis 1 an ce sont des adolescents qui sont arrêtés.
280 participants professionnels et étudiants des métiers du social, de l’éducation et de la justice, ont assisté à cette conférence, montrant l’intérêt porté à cette problématique.
Pour aller plus loin :
-
Lebourg, N. (2016). Lettres aux Français qui croient que cinq ans d’extrême droite remettraient la France debout. ECHAPPES.
- Camus, J., & Lebourg, N. (2015). Les Droites extrêmes en Europe. SEUIL.
Les prochaines conférences du collectif Ensemble On Fait Quoi ? :
- 1er mars : Elyamine SETTOUL, « Penser la radicalisation djihadiste »
- 31 mars : Sylvain DELOUVÉE, « Complexisme et croyances conspirationnistes »
- 4 avril : Bruno MICHON, « Spiritualité et religion dans le travail éducatif »
- 28 juin : Isabelle SOMMIER, « La radicalisation de gauche »
- Fascisme = un parti milice qui veut un homme nouveau par un état totalitaire à l’intérieur et une guerre impérialiste à l’extérieur[↩]
- Direction centrale des renseignements généraux[↩]
- Un mème est un concept (texte, image, vidéo) massivement repris, décliné et détourné sur Internet de manière souvent parodique, qui se répand très vite, créant ainsi le buzz – définition Larousse.[↩]
- Organisation de l’armée secrète : principale organisation terroriste durant la guerre d’Algérie pour l’Algérie française[↩]
- Front de libération nationale[↩]